Actualité Agadir et région: Timitar : des bonheurs d’expression artistique pour 600 000 visiteurs

Posté par: Administrateursur 05-07-2011 00:20:58 1115 lectures Au rebours des grand-messes consensuelles, Timitar cultive sa singularité… Démonstration par sa huitième édition (du 22 au 25 juin), tout en audace et découvertes. Quatre cents artistes, 32 concerts..., et d’infinis plaisirs des sensations rares.

Il Ă©tait Ă  craindre que Timitar, avec ses huit carats, ne fit les frais de la succession Ă©chevelĂ©e des manifestations musicales estivales et de sa concomitance avec le Festival d’Essaouira, son aĂ®nĂ© et voisin. Il en fut autrement. Non seulement il tira son Ă©pingle de ce jeu pervers, mais il se hissa en modèle d’excellence nationale. Au grand ravissement des 600 000 visiteurs qui, pendant quatre jours, bravant la chaleur Ă©touffante, ont dĂ©ferlĂ© sur la place Al Amal, le Théâtre de verdure et la scène Bijaouane. Faisant montre d’un enthousiasme inouĂŻ, traduit par une empathie vibrante avec les artistes.


250 000 spectateurs rien que pour la soirée de clôture, animée par le trio Tabaâmrant, Karam et Daoudia

Ce dont jubila Brahim El Mazned, directeur artistique de Timitar : «Si cette Ă©dition a Ă©tĂ© un succès, elle le doit encore une fois Ă  ce public gĂ©nĂ©reux, curieux de toutes les musiques, toujours en communion avec les musiciens. Aussi, pour le remercier de tels Ă©gards. Ceux-ci ont donnĂ© le meilleur d’eux-mĂŞmes, sans Ă  aucun moment s’économiser ou tenter de tricher».
Point d’orgue de cette fĂŞte des sens, le samedi 25 juin, oĂą sur la Place Al Amal se sont relayĂ©es trois emblèmes, Fatima Tabaâmrant, Najwa Karam et Daoudia. Trois sensations attendues. Si attendues que, dès 18 heures, la place commençait Ă  ĂŞtre investie, quand Ahwach Foum Lahcen prirent congĂ© des spectateurs, le nombre de ces derniers atteignait 250 000, alors que la contenance du lieu n’excĂ©dait pas 120 000. Du coup, la place Al Amal se transforma en chaudron qui alla au feu aussitĂ´t que Tabaâmrant fit son apparition. «Jusqu’ici je n’ai pu assister Ă  aucun spectacle, mais j’aurais Ă©tĂ© frustrĂ© d’avoir manquĂ© celui de  Fatima Tabaâmrant, tant cette femme est merveilleuse. Alors, ce soir, je me suis fait remplacer pour pouvoir admirer mon idole», nous confie Lahcen, serveur dans un cafĂ© gadiri. Dans le Souss et au delĂ , l’enfant de AĂŻt Baâmrane rĂ©vĂ©lĂ©e au matin des annĂ©es 1990, est l’objet d’un culte. RespectĂ©e pour avoir troquĂ© sa qualitĂ© de choriste contre l’habit de rayssa et dĂ©fiĂ© ses pairs mâles en formant sa propre troupe, Tabaâmrant est vĂ©nĂ©rĂ©e pour sa voix sĂ»re, sa poĂ©sie solaire et ses paroles qui font mouche. Peu engageante Ă  la ville, la perle du Souss est apparue, ce samedi fiĂ©vreux, comme transfigurĂ©e sur scène oĂą, brillamment vĂŞtue, elle troua les lumières et, joignant la gestuelle de tragĂ©dienne Ă  une voix ample, imposa un univers mĂ©lodique parsemĂ© de tubes bouleversants.

En proposant 15 concerts de musique amazighe, Timitar a offert une vitrine du genre

En faisant la part belle Ă  la musique amazighe (15 concerts sur 32), la VIIIe Ă©dition de Timitar confirme l’une des vocations de ce dernier, qui consiste Ă  se constituer en vitrine du genre. Fatima Tabaâmrant, Hassan Armsouk (25 ans de carriĂ©re), NaĂŻma Moujahid (dĂ©but en 1995, 10 albums), Kabira (nĂ©e en 1984, 2 albums) sont lĂ  pour dĂ©montrer la santĂ© retrouvĂ©e des Rways. Agadir Gnaoua montre que les descendants d’esclaves africains ont aussi Ă©lu domicile dans le Souss.

Archach (bande lancĂ©e en 1979), Oudaden (plus de 25 ans d’âge), Laryach (crĂ©Ă© en 1973), Hamid Inerzaf (10 albums), prouvent que l’amazighitĂ© se conjugue bien avec la pop protestaire. Et Ă  d’autres modes, tels le rap (Ras Derb), le blues (Hindi Zahra). D’oĂą l’engouement accru pour ce rĂ©pertoire, dont Timitar y est pour une large part. «Il faut convenir qu’au moment oĂą nous avons lancĂ© ce festival, la musique amazighe n’était pas au mieux de sa forme. Bien sĂ»r, ses plus beaux fleurons Ă©taient lĂ , mais ils n’étaient goĂ»tĂ©s que par les personnes maĂ®trisant l’idiome berbère et crĂ©aient peu, faute d’amateurs. En les mettant en lumière, Timitar a pu sensibiliser les non amazighophones Ă  leur art. Et c’est un gain important pour ce patrimoine longtemps mĂ©connu», tĂ©moigne Brahim El Mazned.

Une des particularitĂ©s de Timitar est d’imposer, chaque annĂ©e, en sus d’une distribution toujours passionnante, tout en tĂŞtes d’affiches judicieuses et flair prospectif des Ă©vĂ©nements inclassables et ambitieux. Par le passĂ©, y ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© impliquĂ©s Oudaden, Amarg Fusion, Izenzaren ou Ammouri M’barek. Pour sa huitième prestation, le festival a voulu frapper fort, en provoquant une rencontre entre Agadir Gnaoua et Bagad de Saint-Nazaire, autrement dit entre gnaoua et la musique celtique, deux genres radicalement distants, portĂ©s par des instruments distincts, les percussions pour l’un, les instruments Ă  vent pour l’autre et des artistes qui n’ont pas la mĂŞme culture musicale, la mĂŞme culture tout court, ni ne parlent pas la mĂŞme langue. Conçue par les festivals Escales de Saint-Nazaire et Timitar d’Agadir, la rencontre a consistĂ© en deux rĂ©sidences, l’une Ă  Saint-Nazaire, du 5 au 10 mai, l’autre Ă  Agadir, du 20 au 22 juin. une gageure, selon le porte-parole du Festival les Escales. «Nous n’avons pas choisi la facilitĂ© en rĂ©unissant deux groupes de nationalitĂ©s et cultures diffĂ©rentes, qui n’ont jamais jouĂ© ensemble. C’est un projet qui comporte un nombre invraisemblable de soucis Ă  gĂ©rer, depuis les visas et l’encadrement jusqu’aux transports et rĂ©pĂ©titions, et repose sur un Ă©quilibre financier casse-gueule». Mercredi 22 juin, le public qui a assistĂ© Ă  l’ouverture de Timitar VIII n’en croyait pas ses yeux de voir dĂ©filer sur le podium 34 musiciens mi-noirs mi-blancs, certains brandissant tambours et crotales, d’autres binious et bombardes. Mais vite, la foule se mit Ă  se pâmer devant ce son proprement inouĂŻ engendrĂ© par cette fusion improbable. A quelques dissonances, on percevait que le projet n’était pas encore assez sculptĂ©, mais gageons que moyennant de bienvenus rĂ©glages, l’attelage filera bon train et que l’avenir syncrĂ©tique lui appartiendra.

Calypso Rose, déboulant de Tobago, a fait tourner les têtes et valser les esprits

De telles audaces dĂ©marquent Timitar des rendez-vous musicaux attrape-tout destinĂ©s Ă  aimanter la foule. ProcĂ©dant ainsi, il cultive sa singularitĂ©. Celle-ci se traduit aussi dans son souci de permettre Ă  l’amateur de jolies dĂ©couvertes. Pour beaucoup, Hindi Zahra, bien qu’elle fĂ»t prĂ©sente Ă  Timitar l’an dernier et Ă  Mawazine il y a un mois, en Ă©tait une, et de taille. Il aurait fallu plusieurs fois la capacitĂ© du Théâtre de Verdure, oĂą son spectacle a Ă©tĂ© hĂ©bergĂ©, pour contenir le nombre de ses fans. Les heureux Ă©lus en ont eu pour leur dĂ©vouement. Jamais la prodige ne chante comme lorsqu’elle se trouve sur son sol ancestral. Sa voix avait Ă  la fois la puretĂ© bouleversante d’un chant d’amour et un rapport fĂ©roce Ă  la terre. VĂ©ritable bĂŞte de scène, elle Ă©tait solaire, hypnotique et Ă©pidermiquement proche du public, avec lequel elle ne cessait de parler, rire et danser. Tout comme Calypso Rose, que Timitar a fait dĂ©bouler de Tobago.

CondensĂ© jubilatoire d’Aretha Franklin, CĂ©saria Evora, Calia Cruz et Myriam Makeba, cette mamie de 70 ans, a tenu le public par le bout du cĹ“ur par un peps inattendu au vu de son âge. Infatigable, bondissante, souriante et dĂ©cidĂ©e, quoi qu’il arrive, Ă  emporter l’adhĂ©sion. Dès les premières mesures, c’était gagnĂ©. Et on est ressorti de ce concert fortement Ă©bloui, grisĂ© Ă  souhait, un tantinet chavirĂ©.

On ne saurait recenser les dĂ©couvertes musicales auxquelles nous eĂ»mes droit, tant elles Ă©taient nombreuses, diverses, Ă©tonnantes. Elles font partie de la marque de fabrique de Timitar, ce svelte pachyderme qui a toujours su rĂ©partir ses moyens limitĂ©s (14 MDH) entre grandes tĂŞtes d’affiches fĂ©dĂ©ratrices, artistes majeurs mais mĂ©connus et valeurs prometteuses. Ce qui lui vaut des tresses de louanges dont il se dit embarrassĂ©e, car il est d’une modestie confondante.

La Vie Ă©co