Culture & Divertissement: Lhaj BelaĂŻd, le king des rways

Posté par: Visiteursur 22-06-2009 23:59:59 1876 lectures Un des moments forts qui composent la Ve édition de Timitar, qui aura lieu du 1er au 5 juillet à Agadir, sera indiscutablement celui des hommages rendus aux rways.
Des manifestations oĂą Lhaj BelaĂŻd aura la part du lion.
Outre les imprécisions, les biographies de Lhaj Belaïd sont truffées de lieux communs sujets à caution.
Portrait d’un artiste au destin lumineux.


De mémoire de mélomane, jamais musicien marocain n’aura joui d’autant de gloire posthume que celle qui couvre Lhaj Belaïd dans le paradis des artistes. Plus de soixante ans après sa mort, son ombre gigantesque plane encore sur la citadelle inébranlable de la musique des rways. Ses pairs parlent de lui avec une sorte de piété filiale. La plupart d’entre eux se réclament ses fils spirituels. Beaucoup, à l’exemple de Saïd Achtouk Outajajt, père et fils, ou Fatima Tabaâmrant, puisent abondamment dans son inépuisable répertoire. Les plus jeunes, quant à eux, tel récemment Ibba Saïd, s’occupent de renouveler sa musique. Mais il n’y a pas que les rways à porter une dévotion étonnante pour une société atteinte d’amnésie aiguë à leur maître, il y a aussi les musicologues et les universitaires. Et cela même du vivant de Lhaj Belaïd. En 1933, dans la partie de son Corpus de la musique marocaine dédiée à la «musique et danses berbères du pays chleuh», Alexis Chottin le décrit en termes admiratifs teintés de lyrisme.


Plus tard, Paulette Galand commet un Recueil de poèmes chleuhs, où les siens sont particulièrement encensés. Cet engouement «littéraire» va décupler quand Lhaj Belaïd s’est séparé définitivement de son compagnon le rbab. Il suffit de parcourir The music of rwayes, de Philips Schyler (1979), Chants et danses de l’Atlas, par Rovsing Olsen (1997), ou les travaux des chercheurs Ahmed Bazid Al Kansani, Ahmed Assid et Mohamed Mastaoui, pour en prendre l’exacte mesure. Mieux, en 2008, est parue une bande dessinée, signée Larbi Babahad, qui, sous le titre Bab Nou Marg N’Tamazight, suit pas à pas le cheminement musical du «maître de la poésie amazighe». Il y a six ans, en la circonstance de l’éclosion du festival Timitar, qui fait la part belle aux rways, nous voulions en savoir plus sur ce genre fortement prisé dans le Souss. Le bazariste auquel nous nous sommes adressés en premier, la cinquantaine volubile, embraya sur l’éloge de Lhaj Belaïd. A notre air vivement intéressé, il déduisit que nous ignorions tout du personnage. Ce que nous dûmes éhontément confesser. Du coup, notre interlocuteur, qui comptait sa recette, tout en nous tenant le crachoir, faillit en perdre le fil de ses comptes. A ses yeux, ne pas avoir entendu parler de Lhaj Belaïd participe de l’hérésie. Car dans le Souss, ce virtuose de l’amarg (chant) est perçu comme un saint, dont on recueille la bénédiction et conserve religieusement les reliques. Et le bazariste de diriger notre regard vers une photographie, un brin délavée représentant Lhaj Belaïd souriant aux côtés du Roi Mohammed V.

«Dans toutes les demeures des anciennes familles soussies, cette photo trône au beau milieu du salon. Moi je l’ai héritée de mon père et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux», confia-t-il. Autre preuve du culte qu’il vouait à son idole, sa conservation d’un 45 tours, qu’il n’écoutait pas, faute d’un appareil adéquat, mais dont il ne tenait à se séparer pour tout l’or du monde. Il ajouta : «En vérité, je n’ai pas besoin d’écouter Lhaj Belaïd, puisque mon père m’a appris par cœur la plupart de ses chansons, et moi, de mon côté je les ai transmises à mes deux fils». Ainsi, bien que mort depuis belle lurette, Lhaj Belaïd est encore plus vivant, tant son œuvre transcende les âges, par la grâce de la transmission intergénérationnelle.

Entre autres parutions sur Lhaj Belaïd, une bande dessinée retraçant son parcours

Autant l’art incomparable de Lhaj Belaïd est connu, autant sa vie ne l’est que trop peu. A cet égard, les rares biographies disponibles demeurent lacunaires et non exemptes de flous peu artistiques. En quelle année a-t-il vu le jour ? En 1872, selon les uns, 1874, prétendent les autres. Plus prudent, Mohamed Mastaoui, sur la foi des écrits d’Alexis Chottin et Paulette Galand, situe la date de naissance du poète-musicien entre 1870 et 1875. La date de sa mort n’est pas non plus précisément établie. Certains avancent, sans preuve aucune, que Lhaj Belaïd a disparu en 1945, des proches croient savoir que ce fut en 1946. Ce que réfute Mohamed Mastaoui, pour qui il serait plus juste de faire remonter cette mort à l’intervalle 1943-1948. Outre les imprécisions, les biographies de Lhaj Belaïd sont truffées de lieux communs sujets à caution. C’est le cas du mythe qui l’entoure comme étant le pionnier de la musique des Rways. Or, c’est au sein d’une troupe appelée Majmouâat Rways, qu’il a entamé sa carrière artistique, vérité qui confirme qu’il ne saurait en être le géniteur. Il n’est pas non plus l’introducteur du rbab dans le registre des rways, vu que cet instrument à corde et à archet était déjà utilisé par ses devanciers.

Sur sa vie, juste quelques biographies lacunaires et parfois fantaisistes

Quant à l’affirmation selon laquelle Lhaj Belaïd aurait été le premier musicien berbère marocain à enregistrer ses disques, elle tombe à faux, si l’on en croit Mohamed Mastaoui qui soutient que de nombreux rways auparavant ont eu ce privilège, de Bihi Ibn Bouâzza et Mohamed Boudraâ à Bihi Oumlou et Boubker Azaâri, en passant par Abdenbi Tnati et Lhoucine Amzil. C’est à Anou N’âdou, une cambrousse aride plantée à 12 km à l’est de Tiznit, que naît la future icône du Souss dans une famille que le dénuement accompagne comme une mauvaise ombre. Malgré leur état, son père et sa mère ne sont pas chiches en tendresse. L’enfant grandit dans une atmosphère chaleureuse dont la faucheuse prend ombrage. Elle fait regagner le Ciel au père, précipitant ainsi sa progéniture dans une misère atroce. Mais la mère ne baisse pas les bras, elle fait accéder son cadet à l’école coranique du douar. Il est heureux d’apprendre le Coran, émerveillé par ces lettres hermétiques que le fquih trace sur sa planche à son intention. Il en oublie presque d’être prématurément orphelin. Pas pour longtemps. N’en pouvant plus de tirer le diable par la queue, sa mère le fait redescendre de son nuage studieux pour l’offrir comme berger à un riche éleveur. L’enfant va en ressentir une amertume indicible, sans toutefois éprouver le moindre ressentiment envers celle qui l’a mis au monde, car il comprend ses raisons.

Il a fréquenté les notables, les nantis et les caïds

Afin de tromper son ennui, il confectionne de ses propres mains une flûte, dont peu à peu il commence à tirer des sons déchirants, qui reflètent son paysage intérieur, chagrin et tourmenté. C’est sans doute de cette époque, où il vivait harmonieusement avec les arganiers, que date son amour de la nature, dont il sera plus tard un des chantres les plus inspirés et un des défenseurs les plus fervents. Cette passion de la nature n’a d’égal que son émerveillement des animaux, qui occupera le choix dans son œuvre. «Ô colombe blanche, si tu es prête à m’accueillir, je viendrais vers toi, quitte à me perdre en chemin», chantera-t-il des années plus tard.Une rencontre, absolument fortuite, va infléchir le cours du destin de Belaïd. Celle avec Sidi Mohamed Oussaleh, maître incontesté de la musique amazighe, qui, saisi par l’habileté du petit berger à la flûte, le retire, avec le consentement de sa mère, à l’affection de son troupeau, pour l’intégrer à sa troupe Rmat Tazeroualt. Sous la baguette de son gourou, Belaïd s’initiera aux secrets de loutar et du rbab. Au fil des mois, il devient un des piliers de la troupe, que ce nomade invétéré quittera pourtant sans raison apparente. On le retrouve plus tard parmi Majmoâat Rways , dans laquelle il n’officiera que peu de temps. Car, se sentant assez sûr pour voler de ses propres ailes, il décide de créer sa propre formation. Celle-ci composée de Belaïd, Mohamed Boudraâ, Moulay Ali Souiri et M’barek Boulahcen se fera rapidement un nom, surtout grâce à son leader, dont la maîtrise du rbab et le sens de l’improvisation poétique enchantent ses auditeurs. Devenu célèbre, il fait déplacer de loin les foules, les nantis se le disputent, les autorités coloniales le courtisent à des fins manipulatoires, les caïds se l’arrachent, et le Pacha El Glaoui l’invite souvent dans ses nombreux palais.

Il aurait pu devenir nabab à son tour, mais cet homme profondément pieux, qui, dans ses poèmes, dénonce la corruption morale et les mœurs dépravées, affiche un mépris souverain envers l’argent. Un tel dédain ne fait pas l’affaire de ses admirateurs, dans la mesure où il les prive d’un large pan de la création de Lhaj Belaïd. Croyant religieusement répréhensible le fait de tirer bénéfice de son art, il s’est longtemps refusé à enregistrer ses disques. Il ne le fit qu’à un âge avancé, après que des juristes l’aient rassuré quant à la légitimité de cet acte. Seule une infime part de son œuvre nous fut ainsi léguée. Mais les artistes rares ont ce privilège de laisser des regrets.

Timitar vi :Les liens du son Ă  Agadir

Dans le contexte d’une concurrence interfestivalière accrue, d’une course aux cachets effrénée et d’une crise économique,?Timitar, le quatrième de cordée (il vient après Mawazine, Les Musiques sacrées et Gnaoua) des grands rendez-vous estivaux n’entend pas se laisser surclasser par ses rivaux.?Jusqu’ici, en dépit de la relative modestie de son budget, il a montré une résilience marquée.?Grâce aux atouts majeurs dont il dispose, à savoir une aptitude à doser harmanonieusement musiques ethnique, savante et populaire, la volonté d’ouvrir aux mélomanes des horizons inconnus, puis le souci de passer au révélateur quelques promesses artistiques.?Cette année,?Timitar nous offre, cette année, cinq jours de sons, de rythmes et de voix, parsemés dans les trois lieux habituels : place Al Amal, Théâtre de Verdure, place Bijaouane.?Fidèle à son credo d’équilibrisme musical, entre airs amazighs, sonorités orientales, rythmes lointains et créations juvéniles, le festival a mijoté pour le bonheur de ses hôtes un plat consistant, composé d’ingrédients familiers (Samira Saïd, Cheb Bilal, Hamid El Kasri, Hadda Ouaki, Rachida Talal, Sahara Generation, Mazagan, Casa Crew…) et de fumets inhabituels, du moins pour le grand public, émanant du Brésil (Carlinhos Brown, Benjamin Toubkin Quartet), de la Colombie (Gaiteros de San Jacinto, La 33), de l’Algérie (Allawa), de la Jamaïque (Max Roméo & The Charmax Band), de la Guinée (Sekouba Bambino & Bouré Band), de l’Ouzbékistan (Ensemble de maqam Ouzbeck), de la Palestine.?En somme, la VIe édition de Timitar, qui se déroulera du 1er au 5 juillet, se présente comme une ba(l)lade à travers les horizons musicaux, riche en plaisirs sereins ou décoiffants et en découvertes ravissantes.?La ballade des gens heureux.

Focus :Les rways, poètes chanteurs itinérants

Par rways, on entend des poètes chanteurs itinérants originaires du Souss.?Ils sont aussi chorégraphes.?Leur poésie, composée de distiques (groupes de deux vers formant un sens complet) exalte la beauté de la nature et la grâce féminine, loue Allah et son Prophète, chante l’amour et épingle les plaies de la société.?Le rays («chef», «maître») s’accompagne au «rbab», instrument à une ou plusieurs cordes frottées par un archet monocorde. Il n’en a pas le monopole, puisqu’un autre joueur de «rbab» figure souvent dans une formation.?Laquelle est formée aussi de deux joueurs de «loutar» (instrument à plectre comportant 3 à 4 cordes), d’un percutionniste tenant le «naqous» (tube en fer qu’on percute par deux baguettes de fer) et de quatre danseurs munis chacun de trois nwiqsat (cymbalettes en cuivre), deux dans la main gauche, un dans la main droite. Le spectacle des rways se décompose en trois parties. Lors de la première, baptisée «astara» (promenade), le rays fait accorder les instruments tout en jouant.?Ensuite, il chante en jouant de son «rbab».?Chaque phrase est reprise par le chœur, dont les joueurs de «loutar».?A la fin interviennent le «naqous», les «nwiqsat» et la danse.?Le chant alors se tait.?La danse prend le dessus.?Elle est exécutée en plusieurs figures, en cercle, en vis-à-vis, en tiroirs, en génuflexions, en flexions en arrière et en jetés de la jambe, et à l’aide de coups de talon («herd») et de battements de pieds («tamerriqt-oudar»).

Et-Tayeb HoudaĂŻfa
Lavieeco